« La vérité est la suivante. Je voudrais ne jamais quitter le cri que j’ai poussé à l’annonce de sa mort. Je voudrais ne jamais sortir de ce moment furieux. »
Écrire ce cri. Écrire pour perpétuer l’incrédulité, pour gommer l’inexorable. Écrire pour corriger le manuscrit défectueux de la vie. « J’imagine Fenezia, son Opéra, comme si j’allais bientôt m’asseoir à son orchestre et l’entendre, entendre ma vie, tout comprendre. »
Écrire un roman, refaire le parcours autrement, tenter de recomposer le couple qui vient de se dissoudre, donner d’autres noms, d’autres visages, d’autres destins aux personnages dont il s’agirait de rectifier les errements qui les ont menés au pire. Les transplanter dans un autre pays, une ville fantasmée, ces lieux s’inscrivant pourtant inéluctablement dans un monde si proche du nôtre, une « Œurope » en décomposition où rejet et xénophobie s’affichent comme seules réponses aux crises du continent.
Écrire sans limites et prolonger ainsi le « moment furieux », prolonger jusqu’à la confusion entre réel et fiction ce temps suspendu qui seul peut différer le retour de la conscience lancinante scandant la perte de l’amant.
Auteur de récits et de romans, Marc Jaffeux a publié chez Sulliver Étymologie d’une dictature (2015), C’est là-bas (2016) et Un déicide (2017). Il a aussi écrit des fictions radiophoniques (France Culture, Radio Suisse Romande), des pièces de théâtre, ainsi qu’une vingtaine de livrets pour la musique contemporaine. Son écriture interroge les liens multiples du réel aux mots ; elle est souvent plurielle, partagée entre plusieurs approches, comme si le fait d’écrire devenait lui-même fiction.