Profondément déçu par les institutions civiques de son temps, Xénophon est à la recherche, dans ses écrits, d'hommes exceptionnels dont le pouvoir pourrait résister aux assauts du temps et assurer la sérénité des notables. Cette quête d'un chef idéal, souvent mélancolique, parfois désabusée, donne à l'œuvre de Xénophon l'un de ses fils directeurs : l'auteur élabore une construction intellectuelle complexe qui privilégie le charisme de l'homme providentiel sur les formes de domination légales ou traditionnelles. Dans l'oeuvre de Xénophon, le charisme ne relève pas d'une séduction ineffable, mais se construit autour de procédures et de techniques qui se laissent saisir à travers le concept protéiforme de charis - la grâce. Une telle notion, dont les connotations touchent à la sphère du don et de l'échange comme à celle de l'éclat et du charme, permet d'analyser ces pratiques en les resituant dans l'épaisseur de leur contexte social et culturel. Un tel parti-pris rend possible une approche transversale de l'autorité, dans la tradition d'une anthropologie politique raisonnée. Avec la charis comme fil d'Ariane, le pouvoir d'un commandant d'armée ou celui d'un roi puissant peut être utilement comparé à l'autorité du chef d'oikos sur sa maisonnée, voire à l'ascendant de Socrate sur ses disciples : aux yeux de Xénophon, l'ensemble de ces pouvoirs repose sur les mêmes fondements « charismatiques ». Le politique ainsi conçu, loin de se limiter à des principes abstraits, s'élargit dès lors à l'étude des pratiques sociales et culturelles pour ouvrir, en définitive, sur une histoire des émotions. Ainsi voit le jour une réflexion non institutionnelle sur l'autorité et ses mécanismes.