L’Espagne, comme la Sicile, est l’une de ces rares terres qui furent un temps intégrées au monde islamique et qui ne le sont plus. Al-Andalus s’est effectivement rétractée comme une peau de chagrin durant les huit siècles de son existence, depuis l’arrivée des conquérants arabo-musulmans au début du viiie siècle jusqu’à la chute de Grenade entre les mains des rois catholiques à la fin du xve siècle. Nous avons voulu interroger la littérature géographique médiévale de langue arabe, afin de savoir si cette discipline, qui se propose, dans le sillon de la géographie antique, de décrire les hommes et les pays, était à même de rendre compte de l’évolution du territoire. Cela nécessite d’analyser le discours même de la géographie, de comprendre ce que les auteurs médiévaux entendaient mettre au centre de leur propos. Or, depuis le tournant de l’An Mil, c’est dans l’Occident du monde musulman que furent composés les traités les plus importants. Du xe au xive siècle, les principaux géographes, dont al-Bakri au xie siècle et al-Idrisi au xiie siècle, sont originaires d’al-Andalus ou sont en partie liés à son histoire. Placés aux premières loges, ces géographes ont rédigé des ouvrages décrivant l’ensemble de l’œkoumène, et plus particulièrement le dar al-islam, le domaine de l’Islam, au sein desquels la place dévolue à l’Espagne musulmane diffère sensiblement au gré des contextes. Par-delà les permanences d’un discours visant à affirmer l’intemporalité d’une terre, quelle histoire peut-on faire du discours géographique ? Peut-il rendre compte du recul de l’Islam dans la péninsule Ibérique ? Enfin, que choisissent ces auteurs de privilégier dans le tableau d’une terre dont le nom reste signifiant en Orient comme en Occident ?