Il est, en philosophie, une distinction usuelle faite entre deux traditions, selon leur objet privilégié : tantôt la conscience et tantôt le concept. Bachelard, Cavaillès et Canguilhem sont, en France, les trois figures majeures de cette dernière orientation, que marquent les questions épistémologiques ; Bourdieu et Foucault, notamment, s’inscrivent dans leur filiation. Sartre, quant à lui, positionne ses travaux dans la tradition intellectuelle de la philosophie de la conscience. Si, dans ce cadre général, sa pensée s’avère notablement inspirée par celles, alors révolutionnaires, d’Husserl et de Heidegger, si ses travaux ont, au plan méthodologique, l’apparence de l’orthodoxie, Sartre ne se place jamais en situation de disciple et, ajoutant à la phénoménologie de l’un, l’ontologie de l’autre, il fait oeuvre originale. Oeuvre qui marque toute une époque – qui marque, directement ou indirectement, « quiconque habite le paysage français » (Derrida, 1999, 83). Sartre est de fait l’un des derniers, en ce paysage, a avoir porté l’ambition métaphysique de la construction d’un « système du monde ». Et, dans un pays politiquement marqué par les figures morales de Voltaire, de Hugo, de Zola, il incarne à la perfection la fonction sociétale de “l’intellectuel” – engagé dans la vie de la cité pour y exercer son magistère critique.