L'évocation de la proportionnalité suscite instantanément un foisonnement d'images fortes dans l'esprit du juriste. Pour les uns, il s'agit de ne pas abattre des moineaux avec un canon. D'autres proposent encore de ne pas casser des noix au marteau-pilon. La première vertu de la proportionnalité serait donc sa simplicité, son intimité avec le « bon sens commun ». Simple, la proportionnalité serait également sympathique. Sous son règne, foin d'un droit aveugle, adjugeant par syllogisme des règles générales et rigides. La proportionnalité propose au contraire un droit fortement contextualisé, moins instituant et ordonnateur de la réalité qu'institué et ordonné par la réalité. Cette simplicité et cette sympathie expliqueront sans doute que la proportionnalité ait pu conquérir sans grande difficulté et résistance l'ensemble du droit de la Convention européenne des droits de l'homme, et s'imposer en leitmotiv du raisonnement de ses juges. Pourtant, l'analyse révèle que la proportionnalité n'a rien de simple. Son utilisation est au contraire une opération éminemment complexe ne pouvant être menée à bien que moyennant une véritable méthode qui n'a rien de commun avec le déploiement du « bon sens ». Ensuite, il apparaît que la sympathie dont la proportionnalité est auréolée devrait être fortement relativisée. Le droit « non instituant », modéré et contextualisé qu'elle promeut est un droit fondamentalement aléatoire, indéterminé, et incapable d'offrir les points de repère aptes à orienter l'action. Or, cette perte de sécurité juridique est rien moins qu'une menace très sérieuse pour l'effectivité des droits et libertés de la Convention. Faut-il, au nom de cette menace, renoncer à la proportionnalité dans le droit de la Convention ? Assurément non. En effet, porteurs de dangers pour l'effectivité des droits de l'Homme, la flexibilité de la proportionnalité et l'aléa de la temporalité dans laquelle elle se meut sont également, dans une société pluraliste et sujette aux changements, des bienfaits pour cette effectivité. La question n'est donc pas celle de savoir s'il faut sacrifier la flexibilité au nom de la sécurité juridique, ou l'inverse. Il convient, tout au contraire, dans une perspective résolument dialectique, de chercher à établir entre ces deux valeurs une concordance pratique.