Si la question des régimes matrimoniaux avant la promulgation du Code civil et l’instauration d’un régime légal de communauté a fait l’objet de nombreux travaux, pour la Provence, au xviiie siècle, aucune étude n’a traité de la question. Une recherche sur les régimes matrimoniaux en Provence à la fin de l’Ancien Régime se justifiait comme étant une contribution à une meilleure connaissance de l’histoire du droit privé des anciens pays de droit écrit. Néanmoins, il convenait de donner à un sujet classique pour les historiens du droit une dynamique nouvelle permettant d’appréhender le droit patrimonial de la famille provençale. Cette approche a été trouvée dans la détermination de notre problématique et dans le choix et l’utilisation de nos sources. La plupart des études sur les régimes matrimoniaux en pays de droit écrit ont comme source principale et parfois unique le contrat de mariage notarié. Or, bien que le contrat soit une source essentielle pour une recherche en histoire sociale ou en histoire du droit, il n’est pas la seule source car des époux provençaux de toutes origines sociales se mariaient, à la fin de l’Ancien Régime, sans contrat. Les consultations, factums plaidoyers d’avocats s’imposaient alors comme un moyen efficace de comprendre les fondements juridiques des relations pécuniaires entre époux. Du côté de la pratique notariale, les recherches devaient porter sur l’ensemble des actes dans lesquels intervenaient des gens mariés pour analyser les clauses qu’ils passaient et pour connaître la manière dont ils mettaient en place et utilisaient leur régime matrimonial. Cette analyse a permis de retrouver les règles telles qu’elles étaient vécues pour rechercher leurs finalités juridiques, sociales et économiques. Parallèlement, une recherche de la jurisprudence du Parlement de Provence relative aux régimes matrimoniaux à travers les ouvrages des jurisconsultes locaux s’est imposée. La confrontation de ces sources montre que les jurisconsultes – avocats et/ou arrêtistes – et les notaires manient la dotalité et la paraphernalité avec habileté et bon sens. La normalisation des formules notariales et l’unité de la pratique sont à relever. Au-delà des particularismes locaux, la Provence présente une unité de la pratique conforme à celle que les jurisconsultes provençaux voulaient donner aux règles applicables aux régimes matrimoniaux. Les pratiques à tendance communautaire étaient peu nombreuses. Le contrat de mariage ne joue plus totalement son rôle de charte de famille et s’est recentré sur le régime dotal. La vie des régimes matrimoniaux montre bien que la dichotomie entre les patrimoines des époux est strictement maintenue. L’épouse administrait ses biens propres. Ses biens étaient protégés, même par le juge. La Provence présentait au xviiie siècle un corpus complet et original de règles qui se substituait à un régime légal mis en place par une coutume dans d’autres lieux. Les régimes matrimoniaux provençaux forment un tout cohérent reposant sur une séparation de biens de principe calquée sur un modèle romain triomphant. Le régime dotal, régime séparatiste par excellence, a la faveur des jurisconsultes et sert de modèle : il reste le référent. Les juristes provençaux utilisaient le vocabulaire inhérent au régime dotal romain, même lorsque aucune dot n’avait été constituée, faute de contrat. Ils nommaient paraphernaux l’ensemble des biens propres de l’épouse, alors que pour qu’il y ait des biens en dehors de la dot, il faut, par définition, qu’il y ait des biens dotaux. Enfin, les régimes matrimoniaux en Provence au xviiie siècle ne consacraient pas l’égalité entre époux mais assuraient une certaine forme d’équilibre des pouvoirs, par une conception particulière de la puissance maritale, remise en cause par le Code civil de 1804.