De toutes les fées dont le souvenir soit vivant, Mélusine est peut-être la plus populaire et la plus sympathique. Fée très française, elle a pour berceau Lusignan, dans la vieille terre de Poitou, et son influence bienfaisante s’étend à toute la région de l’Ouest : outre la « forteresse nommée de son nom » , elle y a élevé Vouvant, Mervent, Parthenay, La Rochelle, Châtelaillon, Niort, et autres lieux. De nos jours encore, que de travaux on lui attribue!
Son caractère ne dément pas son origine. Mélusine diffère entièrement des dangereuses fées bretonnes, des Viviane, des Morgane, belles et perfides amies de Merlin, de ces créatures d’égoïsme exalté, de passions mobiles et d’ambitions démesurées, qui voulurent être des « surfemmes ». Mélusine, aussi belle, aussi tragique, leur est supérieure non seulement par ses vertus morales, mais aussi par la puissance de ses dons intellectuels... Faut-il voir en Mélusine un personnage historique, par exemple la reine Sibille, reine de Jérusalem, femme de Gui de Lusignan ; ou ne reste-t-elle qu’une pure création de l’imagination ? La légende aurait-elle (ce qui est plus probable) fixé, en les grossissant, des traits empruntés à une ou plusieurs personnes? Autant de problèmes à résoudre...
Nous possédons de la légende de Mélusine deux versions dont la principale et la plus ancienne, en prose, est due à Jean d’Arras, clerc du duc Jean de Berry, qui commença son récit à la demande de ce prince, en 1387. Quelles sources a utilisées Jean d’Arras, nous l’ignorons, on sait seulement qu’il a eu entre les mains d’« anciennes chroniques ». La version qu’on va lire suit d’assez près le texte de Jean d’Arras; mais il a fallu alléger ce récit, fort long, de plusieurs épisodes ne se rattachant que de très loin à Mélusine, ou ne s’y rattachant pas du tout. Pour l’illustration, elle est tirée d’anciennes éditions datant de la Renaissance.
La présente édition reprend le texte et les illustrations de l’édition originale de 1927, parue chez Boivin & Cie.