Aileen n’a pas vraiment le physique de l’emploi quand on la voit. À la regarder, on peine à croire que cette femme a subi mille souffrances et autant de deuils dans sa vie. C’est ce que se dit l’agent Smith au moment de pénétrer chez elle. Affable, la vieille femme accueille de bon cœur ses hôtes avec d’autant plus d’entrain qu’elle sait exactement pourquoi on vient l’interroger. Il n’y a qu’elle qui peut renseigner les policiers et c’est justement pour ça qu’elle va tout faire pour gagner du temps en les envoyant sur une fausse piste. Mais ce sera dur, s’avoue-t-elle, car à bien regarder le commissaire et son subordonné, elle comprend que ce premier ne croit qu’à moitié tout ce qu’elle leur raconte.
D’eux deux, c’est à Smith que revient le sale boulot de violenter la vieille dame pour la forcer à répondre aux questions retorses du commissaire. Aileen a tort de s’acharner dans le déni, la sermonne-t-on. Ils vont triompher de cette enquête complexe, rien de plus sûr. Mais, obstinée ou folle, Aileen ne veut rien entendre. C’est de son propre bonheur de mère dont il s’agit ici, alors il est hors de question de céder si facilement aux questions du commissaire Coll. Puis toute façon, elle les hait bien trop ces deux hommes pour ne pas se trouver l’énergie suffisante à son caprice.
Un homme s’est évadé de la prison avant-hier et c’est derrière lui que les policiers courent, mais pour être sûrs de partir dans la bonne direction, il faut qu’Aileen leur dise tout ce qu’elle sait.
Comment fera-t-elle cette pauvre femme pour sortir vainqueur de ce combat déséquilibré ? A-t-elle seulement conscience de ce qu’elle risque en protégeant ainsi la fuite d’un homme qui n’a cessé de la faire souffrir ? Et dans son égarement, a-t-elle réellement pris la peine de remarquer qui est le commissaire Coll ? À le faire, elle aurait vu que décidément le combat est odieusement inique. Car Coll, lui, l’a parfaitement reconnue. Il était là vingt ans plus tôt lorsqu’Aileen, jeune prostituée, avait débarqué en pleine nuit trainant à sa suite un gamin errant dont l’existence fracassée irait bouleverser la vie de tout le monde.
Au croisement des genres, L’enfant fugace est d’abord et avant tout un roman d’initiation épousant les codes du thriller et de la Littérature policière. Une femme meurtrie, petit être devenu immense de ses sacrifices, s’y bat avec acharnement pour construire son propre bonheur, par-delà les préjugés, pour le droit à l’amour maternel.
Alternant les récits, les époques et les interrogations, Delphine Baldelli livre avec ce récit un roman qui fera date par son audace.
L’enfant fugace est la première parution de Delphine Baldelli aux éditions Myriel.