« Ceux qui ont osé parler dogmatiquement de la nature, comme d’un sujet exploré, soit que leur esprit trop confiant, ou leur vanité et l’habitude de parler en maîtres leur ait inspiré cette audace, ont causé un très-grand dommage à la philosophie et aux sciences. Commandant la foi avec autorité, ils surent, avec non moins de puissance, s’opposer et couper court à toute recherche, et, par leurs talents, ils rendirent moins service à la vérité qu’ils n’en compromirent la cause, en étouffant et corrompant à l’avance le génie des autres. Ceux qui suivirent le parti opposé et affirmèrent que l’homme ne peut absolument rien savoir, soit qu ils aient reçu cette opinion en haine des anciens sophistes, ou par suite des incertitudes de leur esprit, ou en vertu de quelque doctrine, ont présenté à l’appui de leur sentiment des raisons qui n’étaient nullement méprisables ; mais cependant ils ne l’avaient point tiré des véritables sources ; et emportés par leur zèle et une sorte d’affectation, ils tombèrent dans une exagération complète. Mais les premiers philosophes grecs (dont les écrits ont péri) se tinrent sagement entre l’arrogance du dogmatisme et le désespoir de l’acatalepsie1, et se répandant souvent en plaintes amères sur les difficultés des recherches et l’obscurité des choses, et comme mordant leur frein, ils n’en poursuivirent pas moins leur entreprise, et ne renoncèrent point au commerce qu’ils avaient lié avec la nature. Ils pensaient sans doute que pour savoir si l’homme peut arriver ou non à connaître la vérité, il est plus raisonnable d’en faire l’expérience que de discuter ; et cependant eux-mêmes, s’abandonnant aux mouvements de leur pensée, ne s’imposèrent aucune règle, et firent tout reposer sur la profondeur de leurs méditations, l’agitation et les évolutions de leur esprit. »
Fruit d’une sélection réalisée au sein des fonds de la Bibliothèque nationale de France, Collection XIX a pour ambition de faire découvrir des textes classiques et moins classiques dans les meilleures éditions du XIXe siècle.