Dès la préhistoire, puis dans toutes les cultures, le taux des gauchers a avoisiné les 10 %. Environnés de droitiers, ils ont toujours été considérés comme des individus singuliers, marqués, selon les époques et les lieux, d’un potentiel plus ou moins funeste ou génial. Il restait à s’interroger sur la singularité du statut des droitiers eux-mêmes, dont le comportement est plus étroitement stéréotypé et asymétrique que celui des gauchers. Quels sont les avantages d’une telle asymétrie fonctionnelle constituée par l’homme, au cours de son évolution, dans un corps a priori symétrique ? Chez les droitiers, émerge un prototype, un modèle dominant, dont la dextralité se vérifie à la fois aux niveaux de l’œil, de la main et du pied. Il représente plus de 60 % de la population générale. Chez les gauchers, au contraire, il n’y a pas de type dominant. Leur latéralité croise de façon variable d’un niveau à l’autre. Une dextralité homogène constitue un réel avantage dans des tâches de force ou de précision. La force s’illustre dans le geste du bûcheron, auquel s’apparentent ceux des lanceurs en athlétisme. Ce mouvement rotatif s’avère mieux enchaîné et plus puissant s’il est sénestrogyre, solution naturelle des droitiers. Et les gauchers sont très rares dans l’élite mondiale des compétitions de lancer, de saut à la perche ou de décathlon, qui exigent une rotation dominante, uniformément accélérée du pied à la main. Quant à la précision, la suprématie des droitiers se vérifie en compétition de tir à l’arc ou à la carabine. Faut-il en conclure que les gauchers et les droitiers non homogènes sont maladroits et peu puissants ? Au contraire, ils deviennent très performants en condition de forte incertitude spatiale et temporelle, si le temps accordé pour réagir est très bref. C’est le cas lors des duels des sports d’opposition, en escrime notamment. En laboratoire, une latéralisation œil-main croisée permet d’obtenir des gains en vitesse et en précision dans des tâches d’attention visuo-spatiale. La dominance latérale oculaire, qui privilégie l’œil gauche chez 25 % des individus, se révèle être un facteur de coordination entre l’œil et la main. Cet élément d’asymétrie perceptive, peu exploré en neurosciences, participe pourtant dès l’enfance à l’ajustement sensori-moteur.