Étrange paradoxe qui consiste à aduler une artiste de son vivant et à s’empresser de l’oublier dès sa disparition. Le destin de la compositrice et concertiste virtuose polonaise Maria Szymanowska (1789-1831) est emblématique de ce phénomène d’effacement historique et mémoriel qui affecte la plupart des femmes créatrices. Cherchons bien en effet ! Quels noms d’artistes femmes nous viennent spontanément à l’esprit… ? Constat qui renvoie à la piètre place réservée aux femmes dans l’histoire des arts et à leur quasi-absence de nos héritages symboliques. Certes, comme le souligne la mezzo-soprano Élisabeth Zapolska, fondatrice de la Société Maria Szymanowska, « on s’intéresse enfin à l’absence des femmes pendant des milliers d’années dans des domaines où leur potentiel intellectuel et leurs talents artistiques auraient pu être exploités, et à leur existence handicapée par une civilisation patriarcale dans laquelle, du reste, nous vivons encore… ». Comment les femmes artistes des XVIIIe et XIXe siècles regarderaient-elles celles d’aujourd’hui ? Satisfaites sans doute des progrès accomplis, déçues aussi par la persistance des préjugés qui, toujours, conduit à mesurer ces talents à l’aune d’un éternel féminin archétypal et réducteur.
La question du genre est effectivement devenue centrale dans nos débats sociétaux. Mais si nous avons assez de modernité culturelle et démocratique pour affirmer l’indifférenciation des sexes en matière d’aptitudes artistiques, il n’en demeure pas moins que pour lire, voir ou entendre à leur juste valeur les œuvres des femmes du passé, et souvent encore celles du présent, il faut insister sur la féminité des artistes et surexposer en ce sens les talents au féminin. Faute en quelque sorte de pouvoir réécrire l’histoire, sinon infléchir celle du présent dans tous les champs pratiques, politiques et symboliques de la vie sociale… Nouveau paradoxe !
« Toute l’œuvre de Maria Szymanowska, écrivait encore Elżbieta Zapolska, est pour moi une chose fantastique, parce qu’elle est comme un cycle sans fin de miniatures qui exigent des interprètes une approche de recherche et de créativité, comme si la créatrice avait compté sur le fait que son expression serait complétée ». Elżbieta admirait le travail et la personnalité de Maria, et si cette dernière avait été notre contemporaine, nul doute qu’elle aurait admiré Ela. De ce jeu de miroirs sont nés les Cahiers Maria Szymanowska, où se reflètent aussi d’autres aspirations féminines, d’autres destins, d’autres combats, d’autres rêves.