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grande couv
Voyage à la Sierra Nevada de Sainte-Marthe
Élisée Reclus
Editeur: Collection XIX
3,99 €

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« Roulé dans une voile et le front caressé par le vent léger qui effleurait la mer, j’attendais, sur le gaillard d’avant du steamer Philadelphia, que les premières lueurs de l’aube éclairassent les montagnes de Porto-Bello. Depuis quelques heures déjà, mes yeux étaient fixés, à travers l’obscurité, sur l’horizon noir, çà et là constellé ; enfin les étoiles s’éteignirent l’une après l’autre, le vague scintillement de la voie lactée s’effaça, et le reflet de l’aurore se déploya du côté de l’occident comme une vaste tente blanche au-dessus de la terre. La masse des montagnes était encore plongée dans l’ombre, mais graduellement la lumière descendit le long des versants et colora d’une teinte d’azur les cimes lointaines, montrant sur les escarpements plus rapprochés les forêts étalées comme un splendide manteau de verdure, et mêlant quelques lueurs roses à la couche des brouillards qui reposaient au-dessus du rivage entre la mer et le pied des collines. Bientôt ce voile de vapeurs se déchira, dispersa ses lambeaux au hasard autour des récifs et sur la surface des flots, et nous révéla le vaste havre d’Aspinwall ou Navy-Bay mollement épanoui entre les deux promontoires verdoyants de Chagres et de Limon. En même temps, les rayons du soleil levant glissèrent obliquement sur les vagues, et ne frappant que leurs crêtes, changèrent en une longue ligne d’or la blanche écume qui bordait les quais d’Aspinwall.
Vue de la mer, la ville présente l’aspect des cités de l’Amérique du Nord, construites à la hâte dans l’espace de quelques années. Les maisons, de hauteur inégale, sont éparses sur la plage basse et marécageuse de l’île de Manzanilla, et du côté de l’ouest seulement se rapprochent assez les unes des autres pour former des rues. Dans les terrains non occupés par les constructions, de grands arbres ébranchés sont encore debout, semblables à d’énormes potences. Au delà de l’étroit bras de mer qui sépare la cité du continent se pressent, innombrables et touffus, les arbres de la forêt. Un grand bateau à vapeur, cinq ou six goëlettes à l’ancre, se balancent sur les flots à côté d’embarcations. échouées qui élèvent au-dessus de l’eau leurs mâts vermoulus et tout incrustés de coquillages ; près du quai, un vieux navire, à la coque moisie, attend un ras de marée pour sombrer et contribuer à l’obstruction du port ; les jetées et les plates-formes sont encombrées de houille, de bûches et de barils épars. »

Fruit d’une sélection réalisée au sein des fonds de la Bibliothèque nationale de France, Collection XIX a pour ambition de faire découvrir des textes classiques et moins classiques dans les meilleures éditions du XIXe siècle.