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grande couv
Cité Ménard
Henry Gréville
Editeur: La Gibecière à Mots
2,49 €

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Henry Gréville (1842-1902)

"Un timbre sec et clair fit entendre six coups ; avant que le dernier eût cessé de vibrer, une cloche lancée à toute volée par un bras robuste tinta pendant quelques secondes à peine. Un bruit de métiers qui s’arrêtent, de vapeur qui s’échappe, d’outils qui résonnent sur le chêne dur des établis, succéda au silence du travail ; derrière la porte énorme qui donne sur la rue Rochechouart, une rumeur sourde, qui croissait d’instant en instant comme une marée montante, remplit la voûte immense des ateliers Godillot. On eût dit une ruche monstrueuse, mise en révolution par quelque événement dynastique.

La grande porte s’ébranla sous la poussée de plusieurs centaines de bras, s’ouvrit et alla battre le mur des deux côtés, laissant jaillir un torrent humain qui, irrésistiblement lancé, déborda aussitôt à gauche et à droite, se précipita contre la muraille d’en face à travers toute la largeur de la voie, et se divisa en deux courants dont l’un descendait vers Paris et l’autre montait vers Montmartre. Les hommes succédaient aux hommes, serrés comme un flot de moutons, se poussant rudement sans y prendre garde, parlant haut, gesticulant avec violence de tous leurs membres, engourdis par le travail assidu d’un atelier où le chef ne plaisante pas, respirant à grand bruit et à longues gorgées l’air libre du dehors après l’air vicié des salles trop peuplées. Une clameur qui s’entend de loin chaque soir monta entre les deux rangées de maisons : cris d’appel, grossières plaisanteries, refrains de chansons, murmures de colère, querelles de compagnons... À cette clameur qui fait trembler deux fois par jour les paisibles boutiquiers de la rue Rochechouart, les mères appelèrent leurs enfants qui jouaient sur les trottoirs et obtinrent l’obéissance avec ce seul mot : Voilà les Godillots qui sortent."

Heurs et malheurs d'une cité ouvrière parisienne au XIXe siècle.