En musique comme dans la plupart des arts, les femmes sont invisibles… ou presque. Pour quelques-unes qui ont trouvé la célébrité, tant de compositrices sont encore méconnues voire ignorées de la société, comme si leur sexe était un handicap rédhibitoire à la notoriété. La musique aurait-elle donc un genre ?
Pourtant, dès le Moyen-Âge, les femmes compositrices et interprètes ont toujours existé. Nombreuses d’ailleurs sont ces femmes, reconnues par leurs pairs et adulées par le public, qui ont finalement démenti les assignations à résidence et les déterminismes qui accablent, enferment et emprisonnent la volonté créatrice. S’il en est une qui incarne la lente progression des femmes vers une nouvelle participation aux aspects pratiques, politiques et symboliques de la vie humaine, c’est bien Maria Szymanowska (1789-1831) qui, au tout début du XIXe siècle divorce d’un « beau » mariage pour gagner la liberté de devenir la première compositrice-concertiste internationale polonaise. Au mépris des conformismes sociétaux de l’époque, elle saura pleinement saisir les opportunités inédites qu’offrent une société et un marché en pleine mutation, où la professionnalisation des métiers artistiques devient impérative. En quelques années, Szymanowska construira une œuvre d’une modernité exceptionnelle dont la mezzo-soprano Elżbieta Zapolska écrira qu’elle est « une chose fantastique, parce qu’elle est comme un cycle sans fin de miniatures qui exigent des interprètes une approche de recherche et de créativité, comme si la créatrice avait compté sur le fait que son expression serait complétée ».
Rompre l’ordre matrimonial, se produire sur scène, créer, proposer, vendre et vivre (de) sa musique, c’est aspirer à devenir l’architecte de son quotidien et à l’assumer. C’est avoir cette chambre à soi qui permet d’assouvir un désir, mué en revendication, d’une écriture reconnue et légitimée. Écrire, vivre, composer au féminin, c’est objectiver des potentialités et sortir des virtualités ; c’est aussi savoir jouer avec les réalités d’oppression et d’impératifs de conformité que le contexte historique, géographique et socio-culturel impose aux femmes. Louise Labé, Cécile Chaminade, Virginia Woolf, Gabriela Zapolska, Hazel Scott, Virginie Despentes sont autant de figures qui incarnent ici cette subversion des référentiels et des codes. Si le masculin est encore trop souvent perçu comme l’universel incontournable, l’évolution des concepts et des mentalités est aussi une évidence, qui impose la juste place des créatrices dans les arts et convoque désormais le matrimoine en corollaire obligé du patrimoine. Une transgression des lois du genre, en quelque sorte.