Les sociétés industrielles ne peuvent plus aujourd'hui s'ériger en modèle de développement. Avant même de détruire, pour l’ensemble des peuples, les équilibres environnementaux, elles se sont engagées dans une forme de déshabitation du monde qui compromet le maintien des formes humanisées de la vie. Sur cette question fondamentale, les systèmes de pensée qui ont fleuri au Sud du Sahara nous apportent un éclairage indispensable – et des pistes de réflexion. Ils nous offrent une leçon précieuse sur une notion marginalisée dans le Droit occidental, mais centrale dans ces systèmes?: l’inappropriable.
La Terre y est en effet placée hors de tout commerce. Envisagée comme une instance tierce, libre et souveraine, garante des interdits fondamentaux, elle n’appartient qu’à elle-même.?Forgée au creuset du rite, cette conception organise toute la vie de la communauté et le partage du sol. Elle est par là même contraire à nos fictions juridiques et économiques qui permettent d’agir comme si la terre était une marchandise circulant entre propriétaires privés, et qui ont pour effet de nous déterritorialiser. Aussi, elle permet un autre mode d’habiter le monde. Cet ouvrage entend montrer quelques voies offertes par des sociétés africaines pour repenser le rapport à la Terre et redonner dès lors un futur aux générations à venir.
Danouta Liberski-Bagnoud est ethnologue. Directrice de recherche au CNRS, membre de l’Institut des mondes africains, sa recherche porte sur les systèmes de pensée voltaïques, qu’elle aborde à partir d’une longue expérience de terrain acquise auprès des communautés villageoises kasena du Burkina Faso. Formée au comparatisme expérimental dans la lignée de Marcel Detienne et Michel Cartry, elle a notamment participé aux travaux collectifs sur la fabrique du territoire, l’interdit du meurtre, l’architecture de l’invisible, les rites de deuil et la divination. Elle a été membre associée de l’Institut d’études avancées de Nantes.