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grande couv
Mademoiselle Cachemire
Jules Claretie
Editeur: La Gibecière à Mots
2,99 €

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Jules Claretie (1840-1913)

"L’auberge est au bord de l’eau et ses murailles blanchies se reflètent dans la Seine. Une barque pleine de poisson frais est amarrée sous les fenêtres, parmi les roseaux. Quelque peintre de passage – il en vient beaucoup de ce côté – a peint, sur la porte d’entrée un lapin à demi dépouillé qui fricasse tout vif sur un feu clair. Le nom de l’aubergiste se détache en grosses lettres bleues : LABARBADE. C’est là que descendent les artistes en tournée dans la forêt de Fontainebleau. La fille du père Labarbade était une célébrité à Samoreau, dans ce pays qu’une chanson a fait illustre :

À Samoreau y a de belles filles, - Y en a-t-une si parfaite en beauté, - Que Godefroid y a tiré son portrait.

Qu’est-ce que ce Godefroid, le Titien inconnu de cette belle fille ? L’histoire de l’art est là-dessus muette, Vasari se tait, mais la belle fille était peut-être Suzanne Labarbade.

Elle avait seize ans alors, pas davantage ; de grands yeux noirs dans un visage un peu hâlé, des cheveux épais, mal attachés et qui roulaient sur ses épaules parfois, brusquement. Elle se savait jolie. Quand elle passait dans les rues, les regards venaient à elle tout droit. Puis elle avait des miroirs. Ce qu’elle savait déjà, les miroirs le lui répétaient. Elle les cachait sous son lit, ou derrière son armoire, parce que le père Labarbade ne badinait pas. C’était un homme dur, rendu plus rude encore par le malheur. Toute sa vie il avait travaillé sans grande chance. Il était de ceux qui naissent condamnés. Sa première femme, la mère de Suzanne, était morte jeune. Remarié, le pauvre homme n’avait trouvé que le chagrin, la mauvaise humeur au logis, les querelles. Madame Labarbade, la seconde, avare, criarde, très belle d’ailleurs et très vaniteuse, élevait la petite Suzanne à la dure. Elle la battait souvent, plus souvent la privait de manger, l’envoyait au lit sans souper pour lui apprendre. Suzanne ne disait rien, se couchait et mordait ses draps afin que dans la pièce à côté la belle-mère ne l’entendît pas pleurer."

La jeune Suzanne est persuadée que son avenir se trouve à Paris... Un jour, après une remontrance paternelle, elle décide de fuguer pour rejoindre la ville lumière...