Jacques Bainville (1879-1936)
Sainte-Beuve remarque dans ses Lundis que les trois mots qui caractérisent les principales époques de la Révolution ont été prononcés par Sieyès, homme sentencieux. Au mouvement de 1789, il avait donné sa formule : « Qu’est-ce que le Tiers-État ? Rien. Que doit-il être ? Tout. » De la Terreur, Sieyès disait simplement : « J’ai vécu. » À la fin du Directoire, il murmurait : « Je cherche une épée. »
La Révolution en était là en 1799. Elle avait besoin d’une épée, d’un militaire et d’un coup d’État. Il faut donc se défaire tout de suite de l’idée que le 18 brumaire ait été, dans son principe, un attentat réactionnaire. On ne comprend bien cette « journée » fameuse, qui continue tant de « journées » révolutionnaires, qu’à la condition de savoir qu’elle a été provoquée dans l’intérêt de la Révolution, pour raffermir la Révolution et en poursuivre le cours, par des hommes qui tenaient au nouvel ordre de choses comme à leur propre bien.
Il y avait déjà longtemps que les affaires allaient mal. Les inquiétudes des dirigeants n’étaient pas nouvelles. Et la principale de ces inquiétudes, c’était que la France, lasse du désordre, de la détresse financière et surtout de la guerre sans fin, ne retournât à la monarchie.
À cette époque, la réaction était le parti de la paix. La Révolution voulait et devait continuer la guerre. Deux ans plus tôt, les élections ayant donné une majorité de modérés et de royalistes, il avait déjà fallu appeler un soldat. Augereau et les grenadiers avaient chassé les Conseils par le coup d’État de fructidor. Et Augereau avait été désigné et prêté pour cette opération par le général en chef de l’armée d’Italie, qui, en vendémiaire, s’était signalé à l’attention des républicains en réprimant à Paris une insurrection royaliste.
Le 18 brumaire an VIII (9 novembre 1799) : le coup d'état qui mit fin au Directoire et à la Révolution.