Quoique objet privilégié de multiples interrogations savantes, le visage échappe à toute conceptualisation (Yves Bonnefoy) tout en concentrant en lui l'impératif éthique du rapport à autrui (Levinas), d'une façon d'autant plus cruciale que le double traumatisme des deux guerres mondiales («gueules cassées» de la première et horreur des «camps» de la seconde) a opéré un tournant dans la prise de conscience qui en a été faite. La littérature est là pour nous le rappeler : au-delà (ou en deçà) de toute théologie, il y a un mystère du visage, qui est d'abord celui de chaque être pour lui-même (de l'amour imaginaire à la haine de soi ou dysmorphophophie) avant d'être celui de tous les êtres les uns pour les autres (qui se dévisagent, s'envisagent, se figurent et se défigurent sans cesse).
De Narcisse et Méduse à Lacan, de Levinas à Sartre et Deleuze, de Sarraute à Michaux ou de Barthes à Duras, et jusqu'à Yves Bonnefoy, cet essai montre qu'en dépit des attaques dont il est l'objet (en littérature comme en art), menées au nom d'une modernité de la défiguration, le visage résiste : on pourrait dire de lui qu'il est la résistance même.