La vie de Prévost prend constamment la forme d'un roman : coups de tête, engagements soudains, exils et évasions, passions et ambitions démesurées, effondrements et rétablissements imprévus, tout y est excessif et désordonné. Quand il tente lui-même d'en écrire l'histoire, il esquive les plates réalités de la pauvreté et du labeur pour se lancer dans le récit d'une destinée hors du commun ; il a le génie du mensonge, le génie du roman à l'état natif. Écrire une vie de Prévost ce sera d'abord démêler la légende et la réalité ; ce sera chercher en même temps ce qui, de sa vie, passe dans le roman, car l'allusion autobiographique affleure dans tous ses récits. On y verra la tentation de l'aventure dans un monde en désordre ; on y verra aussi l'engagement malheureux, la « fatale formule » qui le condamne à la pauvreté, à la chasteté et à la soumission, lui qui rêvait de fortune, de femmes et d'indépendance. Cette vie en porte-à-faux de moine malgré lui le mène à toutes sortes de compromis et de dissimulations : on le découvrira dans le même temps mondain, abbé de qualité, aventurier sans trop de scrupules, séducteur à tout-va, et par-dessus tout, écrivain attelé à reconstruire obstinément cette vie morcelée. Ce qui donne sens et unité à cette existence, c'est sans doute la volonté d'être écrivain et de vivre de sa plume. On s'est donc attaché à rendre ici tous les aspects de la vie d'un homme de lettres au XVIIIe siècle, d'un écrivain qui, du début à la fin, s'est voulu romancier et s'est assumé comme tel : Prévost d'Exilés.