« [...] que la douleur donne à toute créature / Une voix pour gémir », s'exclame Lamartine dans les Méditations poétiques. Une voix pour gémir : c'est à cette voix plaintive, celle de l'élégie, soupir sensible, que le présent essai voudrait prêter l'oreille, pour en décrire et interroger les vibrations, pour en comprendre les enjeux tant anthropologiques qu'historiques, idéologiques et esthétiques ; pour, d'une certaine façon, contre les idées reçues qui n'entendent là que babils geignards, pleurnicheries amoureuses, pâmoisons métaphysiques, complaisances doloristes, lui donner raison. C'en est fini de l'élégie poudrée d'avant 1789. Sentinelles de la douleur, premier volet d'un triptyque, décrit les mutations du genre élégiaque et envisage l'élégie comme une énergie dont la voix s'élève, enfle et se diffuse à toute la poésie en des temps où s'opère un vaste travail de deuil, d'une ampleur inégalée peut-être depuis les grandes tristesses des guerres de religion : la Restauration. Elle est la voix de l'époque. Portrait de l'élégiaque en vigie sonore, écho d'une douleur historique, sociale ou familiale.