Des théâtralités spéculatives invitent les spectateurs à questionner des concepts et des comportements. Leur tentative d’approcher des objets de pensée est visible, elles se montrent comme expérimentations et sont de ce fait autoréflexives. Mais cela suffit-il à faire penser les spectateurs ? Et à les toucher par la pensée ? Ce livre revient sur deux vecteurs qui permettent sans doute de le faire. D’une part les spectacles étudiés dans ce livre naissent d’une crise critique et la répercutent. Abdiquant de l’idée de se saisir des comportements de pensée avec assurance, ils usent d’autre part d’une langue singulière, et développent un « dire poétique ». Les textes s’ouvrent et appellent les spectateurs à s’engager sur une scène de la pensée suspendue. Un tel usage du langage ménage la possibilité d’une résonance, apte à dépasser certaines formes d’aliénation contemporaine telles que les définit Hartmut Rosa. Elle tend à faire des objets critiqués des « objets qui nous sont chers » (Latour). Au-delà des concepts, les spectacles appellent ainsi les contemporains à se pencher sur « ce qui les fait penser » (Stengers). Ils fraient la voie à des modes de dire et de faire sens profondément relationnels, ancrés dans une expérience partagée, dont nous avons peut-être urgemment besoin en ces temps de virtualisation du sensible, du sens et des relations.