Cet ouvrage applique pour la première fois de façon ample et réflexive la notion de transferts culturels créée par Michel Espagne et Michael Werner en 1985 au champ de l’histoire des savoirs entre aires francophones et germanophones au xviiie siècle. Si, en effet, dans son projet, la République des lettres s’étend à l’ensemble de l’Europe et fait fi des frontières politiques, elle est traversée de tensions notamment nationales. Or, les échanges savants mettent en relation des acteurs fortement mobiles et des aires linguistiques et culturelles autant ou plus que proprement politiques, si bien que les Cantons helvétiques et les Provinces-Unies sont inclus dans l’analyse. La complexité des frontières et l’emboîtement des espaces mènent à distinguer des échelles d’analyse fluctuantes selon les objets envisagés et dans le temps, et à insérer les transferts dans des ensembles de circulations et de réseaux. Seule une telle mise en contexte, qui réinterprète la notion de transferts, permet d’analyser les biais linguistiques et les clichés, de cerner le développement de médias particuliers (correspondances, périodiques savants, encyclopédies, littérature clandestine) ou de réseaux connexes (huguenots, francs-maçons, clandestins par exemple). On souligne à terme la porosité ou les hiatus entre types de savoirs (locaux et globaux, écrits et pratiques), la malléabilité des identités savantes et la complexité de ce que l’on résume habituellement sous le nom unifiant de Lumières.