Entre 1840 et 1875, toutes les liturgies diocésaines de France ont disparu, corps et bien : rupture cultuelle et culturelle aujourd’hui méconnue mais qui, à l’époque, suscita de vives polémiques au sein du clergé comme des milieux érudits, voire des sphères politiques. En effet, l’adoption de la liturgie romaine valait affirmation d’un catholicisme définitivement débarrassé de toute tentation gallicane et réaffirmation de l’autorité pontificale. Dom Guéranger (1805-1875) fut le principal artisan de ce « mouvement vers Rome », fidèle en cela à son passé de disciple de Lamennais. La redécouverte des traditions liturgiques et l’intérêt pour l’histoire constituent ici autant de réminiscences romantiques, mais bien plus sûrement le moyen et le prétexte d’un positionnement ecclésiologique, plus généralement ecclésial, au nom d’une doctrine intransigeante. Église et Nation est un essai qui traite, par le biais de la liturgie, c’est-à-dire de l’aspect le plus public et le plus social de la religion, des rapports entre État et Église : dans le siècle des nationalités et de l’émergence des principes démocratiques et égalitaires, le destin du catholicisme était celui d’une religion plus centralisée et plus intransigeante, mais aussi plus universelle. La fin des particularismes diocésains et nationaux, par la réforme en profondeur des rites, du calendrier des saints, du chant religieux, relève donc d’une entreprise moderne qui, paradoxalement, présage l’idée d’une séparation entre le spirituel et le temporel.