Aux antipodes du montage transparent élaboré par le cinéma traditionnel, se sont développées dans le champ du cinéma d’avant-garde des formes de montage qui affirment au contraire leur faculté à dissocier plutôt qu’à assembler, se dotant ainsi de vertus critiques à l’égard des totalités classiques. Nourrie notamment par la réflexion de Theodor W. Adorno sur les concepts de dislocation et de dissonance en art, cette étude se propose d’interroger ces formes en termes de passage d’une esthétique positiviste à une esthétique de la négativité, soit le renversement de la totalité, de l’unité et de la continuité en leur exact contraire : le fragment, l’hétérogène et la discontinuité. Nous verrons comment les conceptions du montage mises au point dans les années 1920 par Sergueï M. Eisenstein et Dziga Vertov sont repensées et prolongées par les cinéastes d’après 1945 (Stan Brakhage, Jonas Mekas, Paul Sharits, Peter Kubelka, Kurt Kren...) et comment se poursuit leur évolution jusqu’aux années 2000, chez des cinéastes et artistes aux approches aussi riches et variées que celles de Rose Lowder, Cécile Fontaine, Augustin Gimel, Philippe Grandrieux, Ange Leccia ou Peter Tscherkassky. Avec leurs films, le (dé)montage se propage à toutes les dimensions du cinéma (récit, figuration, structure, dispositif), illimitant les formes pour les ouvrir ainsi aux principes de non-fini et d’infini.