Apparu sur les scènes de la Révolution française, le mélodrame, périodiquement donné pour mort, régulièrement renaissant, n'a cessé d'infléchir la fiction populaire ou savante, depuis le XIXe siècle. Le tournant des années soixante-dix marque pourtant le point de départ d'une nouvelle relation au mélodrame : Fassbinder redécouvre Douglas Sirk et sa trilogie allemande instaure une relation directe à l'émotion, aux codes et aux enjeux du genre. À sa suite, Pedro Almodóvar comme Todd Haynes, Iñarritu, Gus van Sant, Amos Gitai ou Robert Guédiguian explorent les multiples voies du mélodrame. Au même moment, la critique savante, puis la philosophie s'emploient à réévaluer le mélodrame, à mettre au jour à la fois son esthétique et sa signification sociale et politique. Comment cerner et définir le mélodrame tel que l'aborde le cinéma contemporain ? Quels échos, quelles résonances du cinéma classique viennent animer les plans d'aujourd'hui, jusqu'à rendre perceptible, par-delà l'émotion directe, le feuilletage de la temporalité ? Que reste-t-il, surtout, dans le cinéma des trente dernières années, du projet esthétique et politique qui sous-tendait le théâtre de Pixérécourt, les romans d'Eugène Sue, puis les films de Griffith ? Conçu pour installer le peuple au cœur du drame, pour en faire à la fois le destinataire et le sujet d'une fiction aux ambitions éducatives, le mélodrame n'a cessé, cependant, de poser la question du peuple, de sa définition, de sa permanence. Ce questionnement interroge plus que jamais le cinéma contemporain, de l'Inde au Pakistan, de la Turquie aux États-Unis, des Philippines à l'Europe ou au Japon. Si les réponses sont parfois indécises, toujours complexes, elles s'attachent aujourd'hui encore à réinventer la mission originelle du mélodrame : faire advenir le peuple, créer une communauté d'émotion et de désir dont le sens transcende la fugacité du moment, dépasse les clivages, ouvre la voie d'une possible émancipation.