La découverte des premiers films d'Abbas Kiarostami tels que Où est la maison de mon ami ? (1987) fut l'objet d'un engouement immédiat d'une part importante de la critique occidentale qui s'empressa de souligner la parenté de son œuvre avec le Néoréalisme italien. Dans le même temps, force était de constater que l'esthétique et le récit des films de Kiarostami révélaient des influences de la culture iranienne ancestrale telles que la miniature persane et les poèmes mystiques. Ainsi, d'emblée, l'œuvre se présentait comme située à la croisée de plusieurs chemins, géographiques, esthétiques et historiques complexes à articuler. Les films plus récents tels que Le Goût de la cerise (1997), Le Vent nous emportera (1999) ou Ten (2002) ont encore enrichi cette problématique de par l'épure de leur stylistique et l'évolution du dispositif (avec, notamment pour Ten, le recours à la vidéo digitale grand public), recoupant des questions essentielles concernant le cinéma contemporain (perte d'aura, maniérisme, minimalisme, place du spectateur). Cette étude des lignes de force de l'œuvre d'Abbas Kiarostami prise sous ses multiples facettes (films, vidéos, installations, poèmes, opéra) est traversée par un double objectif : tenter d'en saisir, sous l'apparent dépouillement, la complexité cachée en prenant en compte la manière dont elle s'inscrit dans un contexte particulier – l'Iran d'avant et après la prise de pouvoir par les Mollahs en 1979 – qui l'amène à inventer une subtile logique de contournement de la censure. Elle offre aussi l'occasion de remettre à l'ouvrage la notion même de modernité dans une perspective plus vaste suscitée par l'œuvre elle-même, incluant les champs de l'art et de la philosophie.