La description classique de l’accompagnement du film muet consiste à dire qu’un pianiste ou un orchestre jouait pendant la projection. Cet ouvrage a pour ambition de retrouver la réalité complexe des spectacles cinématographiques avant 1914, dont le spectre d’écoute était d’une variété extrême. En explorant les archives municipales, les rubriques des spectacles des quotidiens locaux, la presse corporative, aussi bien qu’en observant les cartes postales de l’époque, on découvre un capharnaüm littéralement inouï. La multitude des lieux de projection explique l’éventail infini des sons entendus par les spectateurs. Car ceux-ci ont découvert les films dans des cafés, des music-halls, des grands magasins, des cirques aussi bien que dans des églises, des salles de classe ou même des patinoires ! L’étude d’un grand nombre de villes françaises donne une idée précise de la vie pendant les projections. Le foisonnement sonore permet de redécouvrir l’expérience du spectateur de la Belle Époque. L’importance de la participation du public est un point fondamental. Les cris, applaudissements et paroles diverses dans des patois variés, accompagnaient les films. Les projections étaient vivantes et, à chaque fois, uniques. Sur les champs de foire, les machines à vapeur - dynamo vrombissantes, les grognements des fauves et le vacarme des orchestrions résonnaient plus fort que le piano. Dans des lieux plus calmes, les paroles des conférenciers, des prêtres, des vulgarisateurs scientifiques et des bonimenteurs captaient l’attention de l’auditoire. Les bruiteurs, eux aussi, influençaient la vision des films et les musiciens, dans des orchestres de toutes tailles rivalisaient avec les chanteurs d’opéra pour amplifier l’émotion provoquée par les images en mouvement. Enfin, la synchronisation mécanique des films était bien plus courante qu’on ne le pense. C’est cette diversité sonore oubliée que ce livre entend remettre en oreille. Ce faisant, il déplace la façon dont l’historiographie traditionnelle présente la réception des films.