Le parcours de Charlotte Delbo (1913-1985), femme de lettres et assistante de Jouvet, est exceptionnel. Résistante, déportée à Auschwitz-Birkenau puis à Ravensbrück, elle survit. Ainsi que l'écrit Joël Huthwohl dans la préface de cet ouvrage, « il y a soixante-dix ans s'ébranlait le convoi du 24 janvier. Il y a quarante-huit ans paraissait Aucun de nous ne reviendra. Il y a vingt-huit ans elle mourait. Insensiblement sa vie s'éloigne comme disparaissent ceux qui disaient : “pendant la guerre, je...”, “à Auschwitz, nous...”. [...] Nous passons avec une certaine appréhension le seuil fragile après lequel nous continuerons sans les témoins. » Il s'agit donc d'assurer la transmission de son œuvre, mission que s'était donnée Claudine Riera-Collet (aujourd'hui décédée) fondatrice de l'association Les Amis de Charlotte Delbo et à l'initiative du colloque international de mars 2013 à la BnF et à la Comédie-Française. On limite souvent son œuvre aux textes sur la déportation, or elle traite aussi des événements de son époque. Son entrée officielle dans la littérature se fait avec Les Belles Lettres (1961) recueil de textes contre la guerre d'Algérie. Suit, le premier tome de la trilogie d'Auschwitz et après : Aucun de nous ne reviendra (1965), écrit à son retour en 1945. Avec Le Convoi du 24 janvier (1965), la trilogie fait saisir l'horreur de la barbarie mais aussi la solidarité des déportées qui se soutiennent dans la détermination d'un acte à accomplir : rentrer pour porter ce qu'elles ont vécu à la connaissance du monde. À l'avant-garde des recherches esthétiques de l'après-guerre, sa recherche formelle, marquée par sa rencontre avec Jouvet, la conduit vers une écriture à dire et à entendre. Elle choisit progressivement le théâtre et la poésie pour rendre compte de l'irreprésentable d'Auschwitz : Qui rapportera ces paroles ? (1966), Et toi, comment as-tu fait ? (1971). Ces textes, avec Ceux qui avaient choisi, Les Hommes, Kalavrita des mille Antigone, La Mémoire et les jours, portent la trace de la séparation brutale de nombreux couples sous les régimes totalitaires. Cet ouvrage, fruit du colloque et de l'année de commémoration de sa naissance, aborde plusieurs thèmes qui le structurent en trois parties (« L'engagement », « Écriture et témoignage », « Le théâtre : écrire pour la scène ») dans lesquelles poésie, littérature, théâtre se questionnent et s'enrichissent permettant de saisir dans sa pluralité l'impact actuel de l'œuvre qui ne peut se réduire à une approche disciplinaire stricte et qui, au-delà du témoignage, fait surgir une vérité encore difficilement écoutable.