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grande couv
Tools n° 3
Clémentine Berry
Editeur: Les presses du réel
8,99 €

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Le troisième numéro de la revue annuelle qui s'attache à valoriser les savoir-faire et la technique dans le design, l'artisanat ou l'industrie, consacré au pliage.

On plie. Tous les jours, on plie. On plie du bois, du linge, du métal, du carton, de la terre, on plie même nos jambes, nos bras. Le pli s'immisce au creux de la peau, dans le coin des yeux, dans les mouvements de la terre... Les plis de l'eau... Le pli est partout.
Dans les métiers aussi, le pli est à l'origine de nombreux gestes techniques : cintrer, plisser, tordre, former, ployer, etc. Éventails, parachutes, tentes, serviettes, chaises... les objets se plient et se replient. Tout le temps.
Donc, on plie. Mais pour quoi faire ? C'est ce qu'on a tenté de comprendre avec ce troisième numéro du magazine Tools.
Un zingueur plie le métal avec sa plieuse portative. Une plisseuse plisse le carton avec ses doigts de fée. Un serveur de bistrot plie chaque jour les serviettes en tissu en attendant le rush du service. Un designer dessine les plis qui éviteront des assemblages trop complexes. Un ingénieur calcule le poids et la portée des armatures de la tente afin qu'elle puisse se déployer d'un seul geste. Une couturière plisse d'un geste précis le tombé d'une jupe de lit. Un légionnaire apprend à repasser et plisser sa chemise. Un militaire plie de la tôle pour construire à la hâte une caserne préfabriquée.
Parfois, plier c'est une question de vie ou de mort. Prenez l'exemple d'un parachute replié. Au prochain saut, il risque fort de ne pas se déplier correctement – et alors, on vous laisse imaginer la suite...
Au fur et à mesure de la construction de ce numéro 3, on s'est donc rendu compte que plier, parfois veut dire cadrer : prendre le pli, rentrer dans le cadre... On dit bien « se plier aux règles ». C'est peut-être le numéro de Tools où le lecteur ou la lectrice rencontrera le plus de militaires ! En effet, l'invention de nouveaux matériaux pliés, cintrés ou ondulés ont parfois appuyé des logiques de camps temporaires, d'infrastructures d'urgences.
On trouvera dans ce numéro aussi des vies nomades, des plis effectués dans l'urgence, comme lorsqu'on déploie une tente dans la rue, dans un contexte précaire. Plier, déplier, c'est alors une façon de se protéger, de chercher un abri.
On aura un aperçu des couches de temps immenses qui se faufilent dans chacun de nos plis : les gestes du pliage accompagnent l'Humanité depuis bien longtemps, depuis les premiers outils et les premières toges. Le pli fait partie, par exemple sous la forme des drapés, de notre histoire culturelle commune. Au temps de la modernité et de l'industrie, le pli est devenu le moyen de concilier des vies de plus en plus urbaines et sédentaires avec le désir du mouvement, comme une sorte de pont entre le passé et le présent. Le pli fait gagner de la place dans les appartements de ville, fait entrer de nouveaux objets dans des espaces de plus en plus petits. Comme si on était des escargots avec notre maison sur le dos, comme si on allait tout emporter, bientôt, sur le toit de la voiture.
D'une certaine manière, on peut dire que le pli se trouve à la frontière entre deux forces contraires : celle de l'ordre et celle du désordre. Au milieu, on trouve une sorte d'équilibre plus ou moins précaire : tant qu'on plie, on ne rompt pas.
Donc on plie, oui, mais parfois, on ne plie plus. Parce qu'on n'y arrive plus, ou tout simplement parce qu'on n'en a plus envie. Dans ce numéro, il y a aussi des gens qui froissent, comme cette adolescente qui se sent bien dans son désordre.
On espère donc que les lecteurs et les lectrices s'émerveilleront comme nous des immenses possibilités du pli pour construire des mondes ; mais aussi qu'il percevront que le pli, l'ordre, la mesure, il faut savoir les dépasser. Et si même Marie Kondo, la papesse de l'ordre, a arrêté de plier ses chaussettes, c'est bien que tout le monde a aussi parfois le droit de lâcher prise...