«?Je voudrais tant vous écrire et cependant tout est impossible. On m’a donné l’ordre de ne pas cacheter nos lettres. La seule idée que des tierces personnes ouvriront les papiers et profiteront de la lettre me glace, me décourage : et quoique cependant cette lettre soit à cent lieues des secrets militaires, ma pudeur s’effarouche de rendre ainsi public ce que je pense. Lorsque je serai au repos j’expédierai toutes ces lettres qui sont une part de mes notes personnelles et qui vous sont confiées. C’est à vous que je les donne parce que je sais que plus tard si je voulais revivre mes heures de tranchées, je saurais où les retrouver. Je voulais écrire à l’air libre et sous la carcasse des arbres. J’ai dû me réenfouir sous la sape. Nos obus et les leurs se croisent et je pense toujours depuis au camarade arrivé au feu de la veille et qui avait tout le côté gauche de la tête emporté. J’ai dû durant cette journée l’enjamber plusieurs fois. Il est mort sans crier face à face avec son ami, comme il lui disait : je n’ai pas peur. L’autre, dans l’obscurité, ne s’en est aperçu qu’à son silence.?» (Lettre, 12 août 1915)