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grande couv
La Crise Hawaïenne
Charles de Varigny
Editeur: Editions Homme et Litterature
4,49 €

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Quand, remontant l’Océan-Pacifique, le navigateur franchit la ligne et s’élève vers le nord, il voit se dérouler devant lui une mer sans fin ; les îles sont rares, largement espacées ; sur les eaux profondes, les attols ont disparu, les îlots ne jalonnent plus sa route, reliant les hautes terres, annonçant leur voisinage. Sur les flots solitaires, on n’aperçoit plus les pirogues des pêcheurs, les voiles blanches des goélettes. Seuls, de loin en loin, quelques grands navires à vapeur fuient à l’horizon, trouant l’Océan de leur hélice, traçant sur l’eau un sillage profond, déployant dans l’air leur panache de fumée. Ils viennent de San-Francisco ou de Honolulu, ils se rendent en Australie, en Chine ou au Japon ; ils sont chargés de laine, de sucre, de thé, de soie, d’or, des produits du monde entier ; ce qu’un seul d’entre eux transporte eût exigé toute une flotte du temps de Colomb et vaut plus que le chargement d’une caravelle de galions. Ils relient l’Océanie à l’Europe, à l’Asie, à l’Amérique, et, dans le Pacifique du Nord, leur point de convergence, leur centre de ravitaillement se trouve dans la plus haute terre polynésienne, dans l’Archipel hawaïen.

Situé à 700 lieues des côtes de l’Amérique, à 1400 de celles de l’Asie, ce royaume est peu connu, son histoire moins encore ; elle n’était guère pour intéresser l’Europe ; il a fallu, pour éveiller son attention, l’exposition de 1889, l’étonnement avec lequel on apprit que dans cet heureux État on ne trouverait pas un homme ou une femme ne sachant lire, écrire et compter ; il a fallu la nouvelle qu’une insurrection venait d’éclater et qu’une délégation se rendait à Washington pour solliciter du congrès l’annexion aux États-Unis du royaume hawaïen.

Par quel singulier concours de circonstances, cet archipel, où l’on ne compte que 2000 résidents américains, où la population indigène est de beaucoup encore la plus nombreuse, où elle est restée indépendante et fière, soucieuse de sa liberté, attachée à ses chefs, se déclarait-il ainsi brusquement prêt à aliéner sa nationalité, à répudier ses traditions monarchiques et à devenir terre américaine, lui en qui se résumaient et se concentraient les aspirations de cette race canaque, récemment née à la civilisation et qui, sur 1000 lieues de longueur et autant de largeur, peuple les archipels océaniens ? Comment le rêve d’une annexion, caressé depuis cinquante ans par une poignée de colons, menaçait-il de devenir une réalité ? Qu’allait dire l’Europe, qu’allaient faire les États-Unis ? À quelle cause attribuer ces événements ? Ils sont, ainsi que les conséquences qu’ils entraînent, la résultante d’un état de choses qui vaut d’être exposé, car il éclaire tout un côté peu connu de l’histoire de cette partie du monde qui a nom l’Océanie et dans laquelle nous avons un passé, des intérêts, des devoirs et un avenir.