Les passions, au sein des Mémoires du duc de Saint-Simon, sont partout dans l’œuvre et partout à l’œuvre. Elles se manifestent dans son style cruel, dans ses jugements emportés, dans ses envolées grandioses et dans ses torrents explicatifs, aussi bien que dans le monde ressuscité, celui des dernières décennies du règne de Louis XIV et de la Régence, qui grouille de personnages aussi peu sereins que le mémorialiste lui-même. Aussi le présent ouvrage se propose-t-il de faire la lumière sur l’écriture des passions dans les Mémoires, au double sens de passions qui imprègnent — et infléchissent — l’écriture du mémorialiste et de passions de cour, qui sont l’un des objets privilégiés du récit historique. Il ne s’agit pas là d’une juxtaposition de sens qui serait fortuite ou contingente : à l’inverse, ce livre part du postulat selon lequel le lien entre les deux questions est essentiel et profondément dynamique. Saint-Simon est assurément le produit d’une culture et d’un milieu qui le déterminent en partie ; mais, en retour, les faits et les personnages sont saisis, sous sa plume, à l’aune d’une sensibilité irréductiblement singulière. L’auteur entend ici montrer que la cour, telle qu’elle est évoquée et même anatomisée dans les Mémoires, est le lieu d’une effervescence passionnelle sans la prise en compte de laquelle la causalité historique est vouée à demeurer inintelligible.