On peut dire que le principal propos des Mémoires d’Ancien Régime consiste à dénoncer les Silences de l’Histoire, à en dévoiler les détails scabreux, les revers obscurs, les rouages que dissimulent le pouvoir et ses chantres. Le mémorialiste veut par là se défendre contre l’oubli ou contre l’infamie dont le menacent les versions de l’Histoire qui ont publiquement cours. Le secret, ou sa révélation, est ainsi la raison de l’écriture, son primum mobile ; il parcourt comme un fil de trame ces œuvres indiscrètes par excellence, depuis les retraites où elles s’écrivent jusqu’aux circuits clandestins de leur diffusion, du témoignage brutal des grands seigneurs aux délations cursives des courtisans. Mais le secret est aussi motif : constamment différé, il irrite la curiosité du lecteur, se faisant stratégie d’écriture, artifice rhétorique et forme vide. Enfin, il est un secret de troisième niveau, ineffable, infiniment antérieur à toute motivation tactique, interrogation fondamentale du mémorialiste sur sa propre histoire en ce qu’elle lui résiste, noyau incompréhensible et dur. L’intrigue et le présage en sont les deux formes écrites : principes organisateurs de la vie et du texte, ils instruisent le déchiffrement des mystères profanes ou sacrés qui ordonnent le déroulement de l’Histoire et permettent au mémorialiste, comme au lecteur moderne, d’en approcher le sens caché.