Le rire d'Icare
ARNOULD JACQUES
Editeur: Editions du Cerf
« Mes pacotilles ne sont pas aventurées dans une seule cale, ni sur un seul point mes biens ne sont pas tous à la merci des hasards de cette année. Ce ne sont donc pas mes spéculations qui me rendent triste. » [Shakespeare, « Le Marchand de Venise »]. Pourquoi une telle tristesse ? Aurait-elle pour raison la trop grande sécurité dans laquelle se trouvent le marchand en même temps que ses biens ? Trop bien conjuré, le hasard engendrerait-il la mélancolie ? Je laisse à Shakespeare le soin de se pencher sur l’âme de son marchand et garde celui de m’interroger ici sur la façon dont nous-mêmes abordons aujourd’hui les hasards, les dangers et les risques associés à un autre type de navigation, celle qui a pour cadre et pour horizon l’espace interplanétaire. Il ne s’agit pas tant d’en expliquer la maîtrise ou la prévention technologique, d’en élaborer la sociologie ou l’anthropologie, mais plus simplement d’en interroger les quelque cinquante années d’histoire pour élaborer des réflexions que les plus indulgents — ou les plus enthousiastes ? — des lecteurs auront peut-être l’audace et la délicatesse de nommer philosophiques. Mais que les autres se rassurent ou par avance me pardonnent : les pages qui suivent ne sont que l’œuvre d’un Terrien qui aime à rêver du ciel, à qui la chance a été donnée de rencontrer celles et ceux qui, héritiers d’un des rêves les plus profondément inscrits dans l’imaginaire et dans la chair de notre humanité, ont appris à chevaucher les nuées, à braver les hasards du cosmos. Et ce Terrien, qui n’a lui-même jamais soumis ses ailes à la moindre ardeur du soleil ni affronté le vide de l’infini cosmique, a pu du moins se rendre compte que ces navigateurs de l’espace n’étaient pas tristes...
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‘My ventures are not in one bottom trusted, nor to one place, nor is my whole estate upon the fortune of this present year. Therefore my merchandise makes me not sad.’ [Shakespeare, The Merchant of Venice] Why is the merchant so sad? Could it be because he and his assets are too secure? Could chance, so effectively harnessed, engender melancholy? I leave to Shakespeare the task of reading his merchant’s soul, and pray he will not question me about how we approach the hazards, dangers and risks associated with another kind of navigation today, whose backdrop is the horizon, interplanetary space. Here, it is not a question of explaining control or technological prevention, of elaborating the sociology or the anthropology of it all, but more simply of examining fifty or so years of history to engage reflections which the most indulgent – or the most enthusiastic? – of readers will be bold and considerate enough call philosophical. But I pray the others not to worry, and to forgive me: the following pages are the work of a Terrestrial who loves to dream of the sky, who has been lucky enough to meet those men and women, heirs of one of the dreams most deeply inscribed in the imagination and the flesh of our humanity, who have learned to ride on the clouds, to brave the hazards of the cosmos. And this Terrestrial, who has never put his wings to the test of the sun’s ardour or braved the void of cosmic infinity, has at least realized that these navigators of space do not feel downhearted...