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grande couv
La délicatesse, la moralité et la précision dans l'art
Constant Martha
Editeur: Editions Homme et Litterature
5,49 €

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Ce livre regroupe des études de psychologie esthétique, sur la délicatesse, la moralité et la précision dans l’art.

Aujourd’hui il n’y a plus dans l’art de lois universellement reconnues. Il n’est plus de critique fondée sur des principes, ou du moins les principes hasardés par les uns sont dédaigneusement rejetés par les autres. Les lecteurs et les spectateurs, dans un théâtre ou dans un musée, peuvent bien dire qu’une chose leur plaît ou leur déplaît (encore ne le savent-ils pas toujours), mais chacun juge selon sa fantaisie du moment et n’essaie même pas de se rendre compte de cette fantaisie, faute de pouvoir recourir à un principe quelconque. On a le plus souvent peur de se prononcer. De là tous ces jugements évasifs qui courent le monde, tels que ceux-ci : « C’est assez joli, cela n’est pas mal », jugements qui n’affirment rien, qui ne nient rien, qui n’engagent pas et qui permettent de reculer décemment, de se replier devant une opinion contraire. Dans cette incertitude et ce scepticisme, on en arrive à une indifférence qui décide au hasard qu’une chose est belle ou qu’elle ne l’est pas. Puisqu’il n’est plus de loi imposée et reconnue comme jadis, ne serait-il pas possible, ainsi qu’on a fait souvent en morale, de se faire soi-même une loi et, en s’interrogeant, en observant ce qui nous surprend et nous charme dans tous les arts, de découvrir nous-mêmes un certain nombre de règles ou de conditions nécessaires ?...

Puisqu’il nous faut, dans cette étude de psychologie esthétique, nous mettre au-dessus du dédain qui s’attache aujourd’hui à de semblables remarques, allons plus loin et osons montrer que, chez Racine, les choses en apparence les plus insignifiantes ont du prix par la justesse précise de l’observation morale. Le public ne sait plus, parce qu’il n’a plus le temps d’y regarder de si près, jusqu’où va sur ce point l’attention de notre poète. Ainsi, lorsque dans un récit un personnage appelle son interlocuteur par son nom, ce qui est fort ordinaire dans la tragédie comme dans la conversation, ce nom jeté dans le vers et qui ne semble destiné qu’à le remplir, est au contraire chez Racine un trait de sentiment, et on regretterait qu’il n’y fût pas.