Imaginer sous le texte la carte, comme sous les pavés la plage. Une carte sous-jacente, lacunaire, subsistant par fragments sous toute l’étendue du texte de Rabelais. Une carte ou des cartes en rouleaux, que l’on emporte sur le terrain et que l’on déploie, dans le cas d’un procès entre voisins ou d’un litige sur le bornage d’un champ. Les notaires se déplacent, mesurent, chaînes d’arpenteur étirées sur le sol. Cartes et plans que Rabelais met en oeuvre, à chaque étape de sa geste romanesque, du Pantagruel au Cinquième Livre. Tout commence, avec Pantagruel, par « la » guide des chemins de France et le tour de France des universités. Puis c’est l’arpentage du Chinonais dans le Gargantua et la guerre picrocholine. Après le Tiers Livre, suite de dialogues placés entre l’éloge des dettes et celui du Pantagruélion, avec arrêt sur la tête mappemonde de Panurge, le récit s’élargit à l’océan, à ses îles et à ses terrifiques « bellues » marines qui peuplent le Quart Livre. La navigation à travers l’archipel ténébreux s’achève au Cinquième Livre, dans la descente vers la Dive Bouteille. Au fil des cinq livres de la geste pantagruéline, cet essai trame la carte sur laquelle s’échafaudent les fictions les plus échevelées et les plus improbables.