Interpréter le monde et en écrire les possibles, questionner nos représentations et les ouvrir à de nouvelles légitimités, telles sont les missions avérées de l’art et de la littérature, d’autant plus impérieuses à l’heure du chaos écologique, des tentations totalitaires et des virilismes bellicistes et autodestructeurs. À travers des modes et des prismes d’écriture bien différenciés, Ida Vitale, Léonora Miano, Bernardine Evaristo ou Magdalena Schrefel partagent cette ambition de féconder nos imaginaires en précarisant les certitudes et les conformismes, en questionnant obstinément ce qui fonde notre être au monde : les rapports à l’espace, à la réalité naturelle et sociale, aux temporalités humaine et historique – à l’altérité.
« Qu’il est heureux que la tour de Babel se soit écroulée ! Nous aurions pu rester prisonniers sur terre d’une langue unique, d’une qui n’aurait jamais pu prendre conscience de ses limites au contact d’une autre. Fatalement cette langue demeurée seule n’aurait été qu’un grand rêve, enfermé dans une idéologie. » Ces paroles d’Yves Bonnefoy qui disent toutes les saveurs à recueillir dans la pratique hédoniste de la langue, la nôtre et celle des autres, n’ignorent pas pour autant que le langage demeure également un lieu de pouvoir où se joue une violence symbolique discriminante et aliénante, tant dans la maîtrise sociale de ses codes et de sa rhétorique que dans son fonctionnement genré.
En extirpant progressivement les femmes des configurations et des stéréotypes sexualisés et patriarcaux, le féminisme parvient ainsi à imposer un agenda et un référentiel bouleversés. Il décline aujourd’hui un nouvel imaginaire émancipateur qui dessine un avenir désirable dans lequel les femmes investissent, au moins en Occident, à peu près tous les champs de la vie pratique, sociale et créative. La mémoire officielle commence même à leur faire réellement une place, à l’instar des compositrices Maria Szymanowska ou Fanny Hensel qui sont passées de l’autre côté du miroir en conquérant enfin le droit d’être répertoriées dans la musique « incontournable ».
Aussi le féminisme ne peut-il plus se définir en négatif, ou comme le simple renversement des conservatismes et des liens d’autorité et de subordination. Il doit apparaître pour ce qu’il est : un véritable projet global de transformation des sociétés, qui revitalise les principes portés par les Lumières pour œuvrer à la préservation du monde commun – et qui affronte de fait d’opiniâtres résistances. Toute la vocation des Cahiers Maria Szymanowska est d’accompagner ce nouvel imaginaire d’espérance.