Du point de vue opéraïste, les travailleurs de la chimie sont l’incarnation d’une classe ouvrière montrant la voie à suivre. L’intervention à ses côtés semble d’autant plus urgente que le secteur se prépare à se mobiliser pour le renouvellement des conventions collectives à la suite des métallurgistes. Ces derniers ne sont pas parvenus à surmonter la division entre public et privé, ni à créer les conditions d’une lutte commune.
Les opéraïstes sont convaincus que les chimistes peuvent éviter ces écueils en portant des revendications pertinentes (notamment sur le temps de travail et l’augmentation des effectifs) et en s’assurant de pouvoir généraliser et contrôler eux-mêmes la lutte. Pour les opéraïstes, la classe ouvrière est désormais seule face au capital. Ce sont “les premiers pas vers un nouveau type d’organisation, totalement autonome” qu’ils croient déceler dans les grèves de l’été 1963. Quant au reflux de la conflictualité ouvrière qui suit, il est inter- prété comme un refus de suivre les syndicats, et non comme un refus de la lutte.
Aux « années de plomb » italiennes est associée la violence de groupes radicalisant la contestation issue de Mai 68. Parmi eux figure l’opéraïsme, courant marxiste né en Italie au début de la décennie. Loin du cliché d’une extrême gauche enfermée dans ses spéculations théoriques et condamnée à sombrer dans une fuite en avant mortifère, l’histoire que retrace Marie Thirion restitue toute l’ampleur d’un mouvement ancré dans la classe ouvrière. Cette tentative de mener une lutte autonome, détachée des bureaucraties syndicales et politiques, fait écho à tout questionnement sur l’articulation entre production intellectuelle et mobilisation des travailleurs.
Marie Thirion est agrégée d’italien et docteure à l’université de Grenoble Alpes. Elle a mené une enquête sociologique et historique au chevet de la mémoire ouvrière et militante italienne, dont elle a tiré son premier livre.