De la naissance à la mort, nous sentons et nous expérimentons que nous sommes incarnés. Nous venons au monde et nous le quittons en éprouvant le poids de notre corps. Si nos sentiments, nos passions, nos pulsions, nous le font reconnaître de manière certaine, notre corporéité n’en reste pas moins pour nous un mystère. Le plus originairement mien est en même temps le plus étrangement autre. Qu’en est-il au juste de ma condition incarnée ? Que signifie-t-elle et à quoi m’assigne-t-elle ? Le paradoxe éclairé par la philosophie de Maître Eckhart pose la notion d’incarnatio comme un défi pour la raison philosophique, aussi bien d’un point de vue métaphysique que d’un point de vue moral. Unissant corps et âme sans les confondre, Eckhart intègre ainsi tout l’homme à l’économie du salut divin. Cette chair vivante n’est donc pas disjointe de mon âme, et avec elle de ma liberté humaine. À rebours de tout dualisme, le penseur rhénan ouvre ainsi au lecteur du XXIe siècle la possibilité de penser nouvellement l’incarnation de l’homme (phénoménologie) à partir de l’Incarnation du Verbe (théologie).