Le culte des saints musulmans
Catherine Mayeur-Jaouen
Editeur: Editions Gallimard
Souvent considéré comme marginal, le culte des saints musulmans est aujourd’hui un sujet brûlant, au cœur de l’histoire de l’islam, de sa culture et de son imaginaire. Raconter ce "creux le plus douloureux" des sociétés musulmanes revient à écrire l’histoire religieuse de l’islam sous un nouvel angle.
Né dans le riche terreau de l’Antiquité tardive, lié au culte des morts et au processus d’islamisation, le culte des saints musulmans puise dans la mémoire des prophètes antéislamiques, du djihad et de la vénération du Prophète et de ses descendants. Tout un ensemble de croyances et de pratiques adressées aux saints et à des lieux sacrés apparaît en pleine lumière au IXe siècle. Il unit les dévots aux saints toujours présents dans une mystérieuse absence, à travers l’espace et le temps. Visites pieuses, pèlerinages aux sanctuaires et fêtes patronales réclament une intercession ici-bas et dans l’au-delà, aux hommes de Dieu et à de rares femmes. Du Maroc à l’Indonésie, le culte des saints s’ancre aussi dans celui des ancêtres et dans la fréquentation de lieux sacrés anonymes. En rattachant un paysage à l’islam, il affirme une identité désormais musulmane et participe à la compétition entre chiisme et sunnisme. Le phénomène, légitimé par des écrits hagiographiques et encouragé par les dynasties successives, devient massif aux XIIe et XIIIe siècles, avec l’essor des confréries soufies, le culte du Prophète, et de nouvelles vagues d’islamisation. Le culte des saints domine le paysage dévotionnel musulman jusqu’aux attaques du wahhabisme au XVIIIe siècle, puis jusqu’à celles du réformisme et enfin du salafisme actuel.
Au XXe siècle, les États indépendants privent confréries et descendants des saints de leur pouvoir, et tentent de déplacer le culte vers celui des héros et des martyrs. D’impressionnants renouveaux s’affirment pourtant à la fin du XXe siècle, avant de nouvelles ruptures au XXIe siècle, imposées par l’urbanisation et les migrations, par Internet et le règne de l’image, par la mondialisation et la sécularisation.