Nous vivons à une époque où règne l’incertitude identitaire. Même la question « qui suis-je? » ou « qui sommes-nous? » ne semble plus légitime, dans la mesure où le verbe être ne parait plus pouvoir capter le « devenir » dont nous nous sentons tributaires : « que devenons-nous? », voilà la vraie question qui ne cesse de nous hanter. Ce devenir s’impose comme une métamorphose, où l’on se mue progressivement en un autre, mais il n’en reste pas moins ancré dans une histoire où apparait la genèse de soi, qu’une mémoire plus ou moins trouble nous révèle aussi comme un autre.
Il n’y a pas de présence à soi qui permette de saisir dans l’immédiat l’essence de son identité : la différenciation interne qu’entrainent les médiations discursives par lesquelles on se rapporte à soi comme à autrui, dans un écart inévitable entre ce qu’on fut et ce qu’on sera, entre sa singularité irréductible et son appartenance à différentes communautés, entre les faits et les fictions, nous oblige à prendre en compte les nombreuses strates du monde d’images et de paroles au sein duquel les identités se construisent et se déconstruisent. On ne se demande plus qui ont est ou devient, mais comment on dit et montre ce qu’on croit être et devenir, comment on énonce non pas son être propre ni celui d’autrui mais la perception, la mémoire et l’imagination qu’on en a ou qu’on s’en fait.
L’équipe de recherche sur Le soi et l’autre, dont le présent ouvrage donne un aperçu des travaux les plus récents, s’est donnée pour tâche d’analyser les formes d’énonciation verbales et visuelles de la mémoire, de la perception et de l’imagination qui sous-tendent la dynamique relationnelle entre le soi et l’autre, dans le but de comprendre la « sensibilité » contemporaine, fortement imprégnée par l’incertitude identitaire et l’épreuve de l’altérité, manifestes dans le caractère interculturel de la vie sociale. L’enjeu est de dresser un portrait le plus juste possible des « configurations sensibles » ou des « formes d’expérience » communes qui caractérisent les sociétés d’aujourd’hui dans leurs modes d’énonciation de la mémoire plurielle, des perceptions hétérogènes et de l’imagination hybride qui constituent à la fois l’héritage et le destin culturels des mondes contemporains.