Mémoires interrompus
Bertrand Tavernier
Editeur: Actes Sud
Bertrand aimait écrire. Il lui fallait penser à ses Mémoires, vous les avez entre les mains. À l’écran, le monumental Voyage à travers le cinéma français, cette introspection menée dans son propre passé cinéphile, mit du temps à mûrir : c’était pourtant à lui qu’il revenait de raconter cette histoire mais sans doute la fierté d’en avoir la charge se mêlait-elle à une retenue qui, contrairement aux apparences, était un trait frappant de son caractère. En revanche, il prit seul la décision de rassembler ses souvenirs. Est-ce parce qu’il a senti que chaque nouveau projet de cinéma serait un combat difficile (comme ce scénario américain qu’il venait d’écrire avec Russell Banks et qu’il ne parvint pas à monter) que cet hyperactif a décidé d’entreprendre son autobiographie – ou, pour reprendre l’une de ces litotes contemporaines qui nous faisaient rire tous les deux, le “récit de soi” ? Jamais il n’aurait renoncé à réaliser un film de plus, à créer une fois encore. Mais puisqu’il a choisi d’écrire, il faut considérer ce texte comme faisant partie de son oeuvre.
Car à lire les émotions d’un jeune cinéphile, les débuts d’un cinéaste qui deviendra majeur, à se délecter d’un texte plein de verve et de vie d’un pur écrivain, à voir revivre sous sa plume des comédiens ou simplement des personnages fondamentaux du cinéma français, à redécouvrir ce que furent la défense des auteurs et la lutte contre la colorisation des oeuvres, les engagements d’artiste et les désillusions politiques, à sa façon d’exhumer le monde englouti de la France des années 1950-2000, on regrettera seulement, malgré les six cents pages déjà noircies, qu’il n’ait pu choisir de mettre lui-même le point final à une confession qu’on a rarement vue aussi intense. Et l’ouvrage refermé, nous aurions aimé pouvoir lui dire qu’au sein des grands livres écrits par des cinéastes, il venait de rejoindre les auteurs qu’il aimait. (Extrait de l’avant-propos de Thierry Frémaux)