« Je ne pouvais compter les personnes qui formaient comme un cordon sécurisant autour de la table de la cuisine : la famille, les amis très proches... Ils étaient nombreux, silencieux, le regard souvent plongeant. Un mot peut tuer, le silence aussi. Pas de formules toutes faites. Je me sentais exclue, j’observais ces adultes et je me demandais où était ma place. Il n’y avait plus assez d’air pour respirer. Finalement, maman m’a demandé d’emmener Pierre, il était alors âgé de 4 ans à peine, chez les voisins. J’ai pu sortir de cette chape de plomb qui régnait, étouffante. Alors sans rien dire, sans mots, je lui ai pris la main. À ce moment-là, je quittai l’insouciance et endossai le rôle d’adulte malgré moi. J’étais spectatrice, mon seul rôle était de veiller sur mon petit frère et le “mettre à l’abri”. Sans parole, quasi muette, je me vois encore emprunter la petite route derrière la maison. Il n’y avait pas plus de 300 mètres à faire. Une marche funèbre qui n’en finissait plus. »