« Tout était en ordre, la vie imitait parfaitement le cinéma : le photographe mitraillait le corps, comme s'il fallait en remettre une couche, et les pompiers attendaient sagement que le médecin légiste, un homme dans la cinquantaine qui abusait visiblement de la lampe à bronzer, finisse son travail.
Il y avait même une petite troupe de badauds derrière les bandes en plastique jaunes comme dans les feuilletons. J'ai fait le tour de la "scène de crime" scrutant l'homme répandu sur la chaussée dans une pose langoureuse, comme s'il avait voulu se reposer après les fatigues de la vie. Et c'est là que j'ai commis ma première erreur qui sera suivie de beaucoup d'autres : j'ai regardé son visage. Il portait une expression de surprise douloureuse, et la blessure béante de la gorge racontait la sauvagerie de l'attaque, sans qu'on ait besoin de paroles. Il ne faut jamais regarder les visages sous peine de s'intéresser aux gens. Qu'est-ce qu'il a fait pour être puni de la sorte ? Qu'est-ce qui avait poussé son bourreau à un geste aussi radical ? »