Genève, plusieurs années durant, avait affecté vis-à-vis de ses voisins, vis-à-vis de son évêque, l’attitude d’une ville protestataire ; elle devenait, peu à peu, une ville protestante. Son peuple, cependant, beaucoup plus porté vers l’action que vers la spéculation, n’était pas, destiné à devenir un peuple de théologiens. Il y avait eu à Genève, au sixième siècle, quelques troupes tardives de l’Arianisme, que les documents du temps appelaient la « faction genevoise » ; mais vouloir induire, de ces lointains incidents, que l’acre bise de Genève propagea de tout temps je ne sais quelle semence d’hérésie, serait une imagination gratuite. Ce fut par une succession de circonstances politiques, beaucoup plus que par l’effet d’une impulsion religieuse, que les consciences genevoises marchèrent à la rencontre de l’Evangile de Calvin. La plupart d’entre elles, en cette décisive année 1535, ne crurent même pas, en réalité, opter entre deux Églises ; elles se crurent acculées à opter entre leur Église et leur cité ; elles préférèrent leur cité, et ne cherchèrent les attraits du protestantisme que parce qu’auparavant leur évêque leur avait politiquement déplu.
C’était là l’état d’esprit de la masse ; et l’idée proprement religieuse n’y jouait encore qu’un rôle subordonné. Mais il y avait à Genève, comme dans toutes les villes où la Réforme s’implanta, quelques âmes mystiques, qui trouvaient dans l’Evangile chaleur et douceur, et qui, portées par une reconnaissante allégresse, faisaient volontiers bénéficier du prestige même de l’Evangile les prédicateurs nouveaux : tels, par exemple, l’apothicaire Levet, sa femme Claude, sa belle-sœur Paule, ou bien encore le magistrat Ami Porral. Ces consciences-là, qu’avait séduites le principe religieux de la Réforme, rêvaient de faire au plus tôt, sous les auspices de la foi nouvelle, œuvre constructrice.