Ce livre est une œuvre infernale, le cri d’un esclave rebelle.
Ne pouvant, dans ma faiblesse individuelle, terrasser tout ce qui, sur le navire de l’ordre légal, me domine et me maltraite, quand ma journée est faite dans l’atelier, quand mon quart est fini sur le pont, je descends nuitamment à fond de cale, je prends possession de mon coin solitaire ; et, là, des dents et des ongles, comme un rat dans l’ombre, je gratte et je ronge les parois vermoulues de la vieille société. Le jour, j’utilise encore mes heures de chômage, je m’arme d’une plume comme d’une vrille, je la trempe dans le fiel en guise de graisse, et, petit à petit, j’ouvre une voie chaque jour plus grande au flot novateur, je perfore sans relâche la carène de la Civilisation. Moi, infime prolétaire, à qui l’équipage, horde d’exploiteurs, inflige journellement le supplice de la misère aggravée des brutalités de l’exil ou de la prison, j’entrouvre l’abîme sous les pieds de mes meurtriers, et je passe le baume de la vengeance sur mes cicatrices toujours saignantes.
Ce livre n’est point écrit avec de l’encre ; ses pages ne sont point des feuilles de papier. C’est un projectile autoricide que je jette à mille exemplaires sur le pavé des civilisés. Puissent ses éclats voler au loin et trouer mortellement les rangs des préjugés. Puisse la vieille société en craquer jusque dans ses fondements !
Joseph Déjacque, est l’inventeur du mot "libertaire". C'est à New York qu'il va écrire, éditer, diffuser lui-même, Le Libertaire, journal du mouvement social. Il y dénonce l'injustice du capitalisme naissant qui favorise la concurrence et l'asservissement des uns au profit des autres. Il y écrit, en feuilleton, L'Humanisphère, une utopie anarchique et passionnelle, imaginant, après avoir esquissé à grands traits l'histoire de l'humanité et le passage de la sauvagerie à la civilisation, un monde futur où les liens entre les hommes seraient réglés par l'harmonie et la liberté.