La Confédération helvétique constitue l’achèvement politique le plus parfait qu’ait encore réalisé l’humanité. Trois langues, des traditions multiples, des héritages divers, maintes oppositions d’intérêt ont abouti, de par le seul vouloir des populations, à un amalgame souple et fort sans qu’aient eu à intervenir pour le cimenter la guidance de chefs de génie ou les hasards particulièrement favorables de la fortune. Ailleurs la sagesse additionnée de générations successives a produit d’heureux résultats mais il a fallu pour les confirmer ou les maintenir que de telles interventions se produisissent. Rien de pareil en Suisse. La Suisse est par excellence l’œuvre anonyme d’une collectivité...
La Suisse est une démocratie de par toute son histoire. Elle est, de naissance, une démocratie. Dès qu’elle apparaît sur la carte, dès qu’apparaissent ses premiers éléments, dès ce moment, elle est démocratique. Il serait à peine paradoxal de dire qu’elle l’était avant sa naissance, lorsque les cantons forestiers du bord du lac, Uri, Schwyz et Unterwalden, n’étaient, eux aussi, que des terres sans vie, sans nom qui leur fussent propres, entourées d’autres terres sans vie et sans nom, à la limite des langues, vers le point de jonction des trois royaumes impériaux. Ils s’étaient affranchis déjà des seigneuries intermédiaires, princes ecclésiastiques et séculiers, comtes de Kybourg et d’Habsbourg. A défaut d’autre liberté, ils avaient réclamé et obtenu de bonne heure la liberté sous l’Empire et sous l’Empereur, et ils en parlaient comme d’une possession immémoriale...