Guilgoul
György Sági
Editeur: Editions L'Harmattan
Après le décès de ma mère j’ai découvert la photo jaunie d’un jeune homme inconnu parmi ses trésors oubliés dans un sac à main caché au fond de l’armoire. Sur la photo, il a une vingtaine d’années. Il a l’air beau, intelligent, et surtout son visage rayonne de confiance en lui-même. Il pose debout dans une veste de sport et une caméra autour du cou. Au dos des photos, une inscription illisible de ma mère, raturée au crayon noir, dont je retrace les contours du bout des doigts, des mots qui disent qu'elle ne l'oubliera jamais. C'est tout. C’est tout ce que je sais sur eux, sur eux deux.
À part le nom de György Weisz.
J’ai trouvé une carte postale adressée à Lady Lilly Stern le 26 octobre 1943 depuis la Transcarpathie (Kárpátalja) lors de son service sans armes effectué pour la patrie à Turjaremete. Ma mère avait vingt ans lorsque celui qui lui avait envoyé la carte à Budapest l’assurait de son amour éternel.
Dans l’album de famille, il y a une photo de mariage. C’est la plus jeune soeur de ma mère qui dit oui. Six mois avant l’envoi de la carte postale de Turjaremete. Grâce aux photos jaunies, l’on arrive à identifier ces personnes: derrière mon père se tient György Weisz. Il est plus grand que lui d'une tête. Le couvre-chef gris en poils de lapin de mon père est éclipsé par le chapeau d'artiste noir à larges bords de György Weisz. A côté d'eux, je vois ma mère. De l'autre côté de mon père il y a son amour, l'amie de ma mère. Ils sont là tous les quatre ensemble, figés pour l'éternité. Deux ans plus tard, ni
György Weisz, ni l’amoureuse de mon père, ni la plus jeune soeur de ma mère ne seront en vie. Juste mon père et ma mère. Mon père n'a pas de petite amie, alors que ma mère entre en liaison avec tous les hommes croisant son chemin. Tandis que le premier ne cherche pas à remplacer celle qu’il a perdue, l'autre fait tout pour trouver un remplaçant.
Je suis à leur recherche, à la recherche de György Weisz. Il aurait pu devenir mon père puisqu’il m'a donné déjà son nom. Plus précisément, ce n’était pas lui, mais ma mère qui me l’a transmis. Elle avait pris le nom pour elle, pour le garder soigneusement afin de me l’offrir le moment venu. Comme si j’avais le droit de le porter.
Je suis à la recherche de György Weisz, et surtout de ma mère. Il est trop tard. Je reste le seul à pouvoir construire leur histoire du fait d’avoir accepté mon nom.