Sitôt expédié mon « équipage », Tolstoï croise les jambes, et, tout de suite, il me dit :
— A-t-on des nouvelles à Saint-Pétersbourg ?
Je dis ce que je sais, et j’ajoute :
— Est-ce que vous suivez exactement les événements de la guerre ?
Alors il fait, de la main droite, un grand geste désolé :
— Comment se désintéresser d’un pareil conflit ? Comment se désintéresser de cette guerre, de n’importe quelle guerre ? C’est un grand sujet d’affliction que ces batailles entre les hommes.
Je levai les yeux au-dessus de sa tête. En face de moi, derrière lui, je vis, piquée au mur par des épingles, une carte française de la Corée et de la Mandchourie.
Je dis :
— Mais cette guerre n’est pas seulement le conflit de deux peuples. Elle jette l’une contre l’autre deux races. Quelles conséquences, selon vous, de la victoire de l’une ou de l’autre ?
— Qu’importe ! Je ne distingue pas entre les races. Je suis pour « l’homme » d’abord ; qu’il soit russe, qu’il soit japonais, je suis pour l’ouvrier, pour l’opprimé, pour le malheureux, qui est de toutes les races ; et, quoi qu’il advienne, quel sera, pour lui, le gain de celle rencontre ?... Elle montre douloureusement à quel point les hommes oublient ou ignorent la notion du devoir. Faire son devoir, sait-on seulement ce que ces mots-là expriment ?...