
Dans un petit livre qui est une sorte d'étrange chef-d'œuvre: la Ville enchantée, une romancière anglaise, Mrs Oliphant, nous montre les morts d'une ville de province qui tout à coup, indignés de la conduite et des mœurs de ceux qui habitent la cité qu'ils fondèrent, se révoltent, envahissent les maisons, les rues et les places publiques, et sous la pression de leur multitude innombrable, toute-puissante quoique invisible, refoulent les vivants, les poussent hors des portes, et faisant bonne garde, ne leur permettent de rentrer dans leurs murs qu'après qu'un traité de paix et de pénitence a purifié les cœurs, réparé les scandales et assuré un avenir plus digne.
Il y a sans nul doute sous cette fiction, qui nous semble poussée un peu loin, parce que nous ne voyons que les réalités matérielles et éphémères, une grande vérité. Les morts vivent et se meuvent parmi nous beaucoup plus réellement et plus efficacement que ne le saurait peindre l'imagination la plus aventureuse. Il est fort douteux qu'ils restent dans leurs tombes. Il paraît même de plus en plus certain qu'ils ne s'y laissèrent jamais renfermer. Il n'y a sous les dalles où nous les croyons prisonniers qu'un peu de cendres qui ne leur appartiennent plus qu'ils ont abandonnées sans regrets et dont, probablement, ils ne daignent plus se souvenir.